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Avant que Cael Madden ne quitte Toronto, ses admirateurs lui offrirent un autobus qu’ils avaient peint en bleu et sur lequel ils avaient écrit dans toutes les langues : IL EST VENU NOUS SAUVER. C’est donc dans le stationnement d’un centre commercial que Cindy Bloom retrouva son nouveau héros. Avec un large sourire, il acceptait les clés de son nouveau véhicule et remerciait tous ceux qui avaient contribué à ce cadeau. Les gens se mirent à chanter une chanson de paix bien connue, pendant que la jeune femme, qui portait sur le dos un sac contenant quelques vêtements, se faufilait dans la foule. Lorsqu’elle arriva finalement près de Cael, il lui prit la main et l’attira contre lui.

— Comment pouvez-vous être le sauveur du monde et avoir une petite amie ? s’offensa un de ses disciples.

— Cindy est mon inspiration et mon soleil. Cessez de croire que Jésus était célibataire. Il n’aurait jamais pu prêcher en Judée s’il n’avait pas été marié.

Il entraîna la jeune femme dans l’autobus et en fit vrombir le moteur, pour le plus grand plaisir de ses partisans. Ils marchèrent de chaque côté du véhicule jusqu’à l’entrée de l’autoroute, bloquant la circulation et occasionnant de nombreux retards dans toute la ville.

— Où allons-nous ? voulut savoir Cindy.

— Nous nous arrêterons à plusieurs endroits, dont Kingston, puis nous prendrons Montréal d’assaut.

— Pourquoi Montréal ?

— Parce que quelqu’un là-bas m’a promis un passage à Jérusalem.

— Vraiment ? se réjouit-elle. J’ai toujours rêvé de visiter la Ville sainte.

— Je n’y vais malheureusement pas en touriste, mais pour revoir certains endroits qui me sont chers.

— Merci, Cael, de me permettre de vivre cette grande aventure.

— C’est ton destin, belle enfant.

— Mais où se trouve Aodhan ?

— Il est déjà parti pour Montréal. Nous le reverrons là-bas.

Cindy demeura près de Madden lors des conférences qu’il prononça partout sur la route. Le trajet, qui nécessitait habituellement six heures, dura plus de quatre jours. La jeune femme n’avait jamais été aussi heureuse. Il émanait du prophète des ondes d’euphorie qui enivraient tous ceux qu’il rencontrait. Cael était doux, attentif et stimulant. Il écoutait tout ce que l’ancienne agente avait à dire sans l’interrompre et il lui parlait de la bonté de Dieu. Plus surprenant encore, il n’avait exigé aucune faveur sexuelle en échange de ses bons conseils. En sa présence, le temps cessait d’exister et la peur fondait comme de la glace au soleil.

En arrivant à Montréal, Cindy huma l’air et reconnut des odeurs familières. Les adeptes de Madden avaient organisé un ralliement au nouveau Centre Bell, dont on venait de terminer la reconstruction, et loué pour leur sauveur la plus belle suite en ville. Personne ne voulait répéter les erreurs commises deux mille ans plus tôt. Le messie ne dormirait plus jamais sur de la paille.

Cindy s’éternisa sous la douche. Elle lava ses cheveux, s’enroula dans un duveteux peignoir et alla se planter devant la large fenêtre qui offrait une magnifique vue sur le lac des Deux-Montagnes. Autrefois, les hôtels les plus en demande étaient situés au centre-ville, mais ils avaient tous été détruits en même temps que la base de Montréal. On commençait à peine à les rebâtir. Cael arriva derrière elle et l’entoura de ses bras, appuyant son menton sur son épaule.

— Tu es contente de revenir chez toi, remarqua-t-il.

— Je ne suis pas née ici, mais c’est tout comme. J’ai appris à aimer cette ville malgré tout ce que nous y avons vécu.

— Si tu le veux, nous y resterons quelque temps avant de partir pour Jérusalem.

— Je pourrais aller faire les magasins.

— Nous ferons tout ce que tu voudras, mon ange de lumière.

Ils se préparèrent à partir pour la conférence. Cindy enfila une jolie robe d’été verte. Des disciples vinrent les chercher, pour qu’ils n’aient pas de mal à trouver le nouveau centre. Cindy fit descendre la vitre de sa portière et laissa le vent chaud caresser son visage.

Ils furent conduits à une grande loge où Cael refusa évidemment d’être maquillé. Selon lui, il était important d’être vrai lorsqu’on parlait de Dieu. Il dut par contre se plier aux contraintes de l’éclairage, mais exigea de n’être équipé que d’un seul micro. Il se recueillit ensuite sur le sofa. Personne n’osa le déranger avant l’heure de la conférence. Ce fut Cindy qui lui caressa doucement le bras. Il ouvrit les yeux en lui souriant et prit sa main dans la sienne.

Le couple marcha dans le long couloir qui menait à la patinoire, suivi de partisans qui, en réalité, leur servaient de gardes du corps. Un tonnerre d’applaudissements résonna dans l’aréna. Cael prit le temps de s’arrêter pour serrer les mains des gens qui occupaient les premières rangées. C’est alors que Cindy identifia un visage dans la foule. Le jeune homme en question écarquilla les yeux, montrant qu’il la reconnaissait lui aussi.

— David ? s’étrangla Cindy.

Oh avait annoncé la mort de l’agente dans tous les journaux, à la suite de la catastrophe de Montréal, alors la dernière personne que David Bloom s’attendait à voir à cette conférence, c’était sa sœur ! Cindy ne put s’arrêter pour lui expliquer ce qui s’était passé, car Cael tirait sur sa main. Elle vit les lèvres de son frère mimer son nom, puis fut éblouie par une pluie de projecteurs.

 

 

Au même moment, à Jérusalem, Adielle écoutait les nouvelles de la journée en mangeant distraitement. On avait encore tenté de tuer Asgad Ben-Adnah, mais les détails de l’attentat étaient obscurs. On disait qu’il s’était produit dans sa villa et que l’assassin avait trouvé la mort, sans l’identifier. S’agissait-il d’Océane ? La directrice avalait la dernière bouchée de son repas lorsque le présentateur annonça joyeusement que le plus grand homme politique de tous les temps allait bientôt se marier avec la jolie demoiselle qui supervisait la construction de son temple depuis des mois. Adielle s’étouffa en apercevant sur l’écran une photographie d’Océane en train de travailler sur le chantier de Jérusalem.

— Mais elle est tombée sur la tête ! s’écria-t-elle, scandalisée.

Adielle enfila immédiatement sa veste en cuir et retourna à sa base. Eisik avait presque terminé son quart de travail. Il comprit cependant en voyant le visage rouge feu de sa patronne qu’il rentrerait chez lui plus tard.

— Qu’est-ce que c’est que cette histoire de mariage ? cria-t-elle, hors d’elle.

— Malheureusement, mes sources affirment que ce n’est pas un potin.

Une alerte retentit dans la base, faisant sursauter tout le monde. Les techniciens échangèrent un regard incrédule avant de s’affairer à leurs postes.

— Quelqu’un vient de foutre en l’air le traité de paix de monsieur Ben-Adnah, on dirait, marmonna Eisik en pianotant sur son clavier. Des missiles arrivent sur Jérusalem.

— Pointez tous les capteurs vers le ciel et trouvez-moi l’origine de ces missiles ! ordonna Adielle.

— FERMETURE DES PORTES DE SAUVEGARDE. N'UTILISEZ PAS L'ASCENCEUR.

— Mettez-moi en contact avec madame Zachariah.

— TOUT DE SUITE, MADAME TOBIAS.

— Je ne connais pas ce type d’armements, laissa tomber Eisik lorsque les premières images recueillies par les capteurs apparurent sur les écrans.

— COMMUNICATION ETABLIE.

— Mithri, on nous attaque !

— Je sais, Adielle. Toutes les bases de l’ANGE sont à la recherche de la nation qui a lancé cet assaut aérien. Pour l’instant, nous savons juste qu’elle provient de l’est.

— Des mesures ont-elles été prises pour les intercepter ?

— Nous sommes en contact avec les gouvernements susceptibles de vous aider. Restez en ligne.

À l’extérieur de la base, les sirènes avaient retenti, et ce n’étaient pas celles du couvre-feu. Même si elles n’avaient pas été entendues depuis bien longtemps, les habitants savaient exactement ce qu’elles signifiaient. Abandonnant leurs occupations, ils couraient se réfugier dans les abris souterrains.

Océane était sur le chantier de Jérusalem, encadrée de deux gardes du corps qui la suivaient désormais partout, lorsque l’alerte fut lancée.

— Venez, mademoiselle, la pressa l’un des deux hommes. Nous ne devons pas rester ici.

— Que se passe-t-il ?

— Cette sirène nous avertit qu’on nous attaque.

Dans les lueurs du couchant, Océane vit arriver les missiles.

— Il ne nous sert à rien d’aller où que ce soit, capitula-t-elle. Il ne reste que quelques secondes avant l’impact.

Elle demeura figée, flanquée des deux colosses, pour observer l’approche de leur mort. Sa première pensée fut pour Yannick. « Dieu, si vous devez sauver un seul d’entre nous, que ce soit lui », pria-t-elle. Puis elle pensa à Thierry. Au moins, sa mort lui évitera d’atroces souffrances…». C’est alors que se produisit un étrange phénomène. Inexplicablement, les missiles s’arrêtèrent en plein vol comme si une main invisible les tenait entre ses doigts.

Non loin du nouveau temple, les deux apôtres s’évertuaient à repousser cette agression injustifiée contre la Ville sainte. Yannick savait que seul le contact du sol ferait exploser les charges. Yahuda et lui ne pourraient cependant pas retenir éternellement les bombes dans les airs. « Heureusement que j’ai étudié l’astrophysique », se félicita-t-il. Utilisant toute l’énergie qui lui restait, il fit pivoter les projectiles à la verticale. Comprenant ce qu’il essayait de faire, Yahuda l’imita. Ils échangèrent un coup d’œil entendu et libérèrent les missiles, qui filèrent vers les étoiles naissantes et explosèrent en quittant l’atmosphère.

Océane se laissa tomber à genoux en pleurant. C’était le premier miracle auquel elle assistait. Elle qui n’avait toujours cru qu’en ce qu’elle pouvait voir ou toucher, elle se sentait maintenant aussi insignifiante qu’un grain de sable dans ce vaste univers.

Dans la base de Jérusalem, Adielle était toujours plantée derrière Eisik, aussi pétrifiée que le reste de son personnel.

— Mithri, dites-moi que l’ANGE a quelque chose à voir avec la destruction de ces armes…

— Nous n’avons pas eu le temps de faire quoi que ce soit.

— Alors, qui est notre sauveur ?

— Nous l’ignorons pour l’instant.

La grande dame de l’ANGE se tenait debout au milieu des Renseignements stratégiques de la base de Genève, incapable de comprendre comment une centaine de missiles s’étaient arrêtés dans le ciel et avaient tous en même temps effectué un angle de quatre-vingt-dix degrés avant d’aller exploser dans l’espace.

 

FIN

Codex Angelicus
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